La reconstruction d'Haïti promet d'être acrobatique. D'une
faiblesse chronique, l'État a perdu avec le séisme ses acquis les plus récents. Ses services de douanes et d'impôts, qui constituaient ses principales sources de financement, ont disparu. Son
président, René Préval, souffre d'un déficit de crédibilité. Il est critiqué pour son manque de présence au lendemain du désastre. Ce désaveu intervient alors qu'il achève à l'automne son
mandat. Ce personnage plutôt effacé n'a pas de successeur désigné et aucun Churchill haïtien n'apparaît.
Les partenaires internationaux qui exerçaient une tutelle de fait sur le pays vont devoir composer avec des dirigeants en posture délicate. «Il sera pourtant crucial de renforcer les
structures de l'État, juge Hérard Jarotte, éditeur et universitaire, car, pour le reste, les bailleurs de fonds disposent déjà d'instruments de contrôle pour superviser les projets.»
Grâce à un élan mondial de générosité, Haïti devrait bénéficier, si les promesses d'aide sont tenues, de 4 milliards d'aide. «Le sommet international qui va se tenir en mars à New York
devrait entériner la création d'une agence nationale de reconstruction sur le modèle de celles créées en Indonésie après le tsunami ou au Liban pour la reconstruction de Beyrouth», explique un
diplomate européen. Le pilotage de l'agence devrait être haïtien, avec une forte présence d'experts internationaux. La nouvelle entité sera chargée de recenser et de coordonner les plans de
redressement, tandis que le gouvernement gérera les affaires courantes.
Fortes rivalités et divergences
Sur le terrain, la concurrence entre organismes internationaux, pays donateurs et ONG s'annonce rude. Elle pourrait tourner à la foire d'empoigne, tant les rivalités et les divergences sont
fortes. Les Nations unies entendent conserver et accroître leurs prérogatives. Les États-Unis ont décidé d'exercer leur leadership. Les Canadiens jouent leur propre carte. Les Européens
manquent parfois d'unité. La France exerce un rôle à part en raison de l'histoire et de la langue communes. C'est grâce à une initiative haïtienne que le français est la deuxième langue de
travail des Nations unies. En 1945, à la conférence de San Francisco, la délégation haïtienne a réussi à entraîner en faveur de sa proposition le vote latino-américain et à arracher la décision
malgré l'hostilité des Anglo-Saxons.
L'île, qui compte déjà l'une des plus fortes densités d'humanitaires au kilomètre carré, risque aussi de se transformer dans quelques mois en barnum de la charité. L'afflux de mouvements
caritatifs va aspirer les cadres locaux de bon niveau qui n'ont pas pris le chemin de l'exil. Reste que la mobilisation générale a le mérite de faire d'un pays laissé au bord de la route un
enjeu. Dans son rapport sur «Haïti et la France» publié en 2004, Régis Debray écrivait : Haïti est «le témoin de ce que peut faire la communauté internationale pour tirer du gouffre une de
ces zones grises qui deviennent ce que les trous noirs sont au cosmos». Un propos plus que jamais de circonstance.
Source collectif Dom fevrier 2010