Les faits en question se sont déroulés il y a un peu plus de 40 ans , à proximité de "roch a zirondel" derrière le Grand -Ilet ,pour ceux qui ne connaissent pas les lieux.C'était un après-midi comme il en existe de mémorable durant mon bref mais riche parcours de pêcheur à la senne avec " z'enfant a Théodorit ".Nous étions au mois de Mai , si ma mémoire est bonne ,à une période de l'année durant laquelle des "litt" de thons noirs venaient s'alimenter à la sortie vers le large en fin d'après-midi des bancs de pisquettes .
Il ne fallait surtout pas se laisser distraire, au risque de perdre l'aubaine d'une bonne pêche.La consigne etait que à 14heures l'équipage soit pret pour le départ en mer .Celui ci se faisait au fond du curé et il ne fallait guere plus d'une demie heure pour que nous soyons sur la zone .Le temps passé a refaire le monde ne nous dispensait pas de guetter le moindre "wach". Chacun attendant la consigne ,tel un chasseur à l'affût de sa proie ,venant de "jan clod "le maître senneur ..."Bâton!!" mot magique signifiant l'instant zéro pour lancer la senne .
Un jour que les frères Cassin "z"enfant à roger" qui avait la priorité d' un "koud senn " déposé la veille étaient en retard, notre équipage s'est trouvé ,bien malgré nous, face à un "kouboulinn" :expression saintoise signifiant que le premier arrivé est le premier à se servir . Sans se poser de question et pour ne pas perdre de temps,nous avons cru bon tenter le coup de force en encerclant un banc de thons noirs venu nous narguer dans les cailles de la passe des dames.
Notre joie fut de courte durée , le temps pour nous de fermer les deux extrémités du filet ,les frères Cassin avaient surgi de nulle part sur notre bâbord , donnant l'ordre à leur équipage de lancer leur senne a l'intérieur de la notre .Tandis que je m'etais jeté à l'arriere du filet " la fwonciere" comme à mes habitude pour informer le maître senneur de la présence du banc de poissons , c'est alors que Kamille les yeux sortant de leur orbite ,debout avec à la main "un goulot" (une lest de ralingue des plombs) a crié en me menaçant :" jodi là en ka tué ou !" . Aujourd'hui je te tue !
Conscients de n'avoir pas respecter la regle des "koudsenn", nous avons ce jour là accepté de faire "tête basse" en rembarquant la senne vide de l'eau.Ensuite,une fois la frayeur de la menace à ma personne dissipée, j'ai considère que dans mon coeur il n'y avait pas de place pour la rancune .Au contraire , au fil des mois et des années qui suivirent ,j'ai été saisi d'un sentiment d'affection et de respect pour Kamille.La raison à cela ,comme disent les anciens ,c'est qu' à toute chose malheur est bon.
Ainsi , son décès ne peut me laisser indifférent. Voila pourquoi je compatis à la douleur de son épouse à qui j'e demandais tout récemment de ses nouvelles.J'adresse également mes condoléances à ses enfants et ses petits enfants ,en leur disant que Kamille, au delà des apparences d'homme d'intransigeance , a été pour -moi l'instant d'un conflit salutaire -le jalon de la limite à ne pas franchir pour celui qui ne souhaiterait se perdre dans la facilité et le déshonneur.
En me menaçant ,il m'a rendu un grand service dans la mesure ou il m'a apprit à ne jamais vouloir forcer la main de ceux qui sont dans leur bon droit ,si on veut éviter des désagréments.
RIP Kamille alias CASSIN Gérard ! Que ton ame repose en paix