Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 juin 2010 1 21 /06 /juin /2010 17:30

L'affaire Bettencourt est désormais une affaire d'Etat. Ce qui n'était, hier, que la chronique mondaine d'un affrontement judiciaire entre le protégé d'une vieille dame richissime et la fille unique de celle-ci, sur fond d'appétits financiers et d'enjeux successoraux, met en jeu aujourd'hui l'avenir de notre République, sa crédibilité, ses principes et ses valeurs.

Nous sommes passés d'un différend privé à un scandale public face auquel une démocratie sinon irréprochable, du moins respectueuse d'elle-même, ne saurait réagir que d'une seule manière : en demandant à la justice de faire toute la lumière en toute indépendance, ce qui implique l'immédiate mise à l'écart des responsables gouvernementaux concernés, sauf à entretenir le soupçon permanent de pressions et d'entraves.

Que révèlent en effet les enregistrements dévoilés depuis deux jours par Mediapart ? D'abord l'intervention directe, au plus haut niveau présidentiel et via un procureur de la République aux ordres, du pouvoir exécutif dans une procédure judiciaire qui, pourtant, ne concerne aucunement la puissance publique.

Ensuite l'organisation d'une fraude fiscale de très grande ampleur, entre comptes suisses et île paradisiaque, au moment même où le discours officiel est au combat contre les paradis fiscaux.

Enfin les conflits d'intérêts, via son épouse, d'un membre notable du gouvernement, ministre du budget jusqu'en mars dernier, ministre du travail aujourd'hui, hier responsable de l'administration fiscale, aujourd'hui organisateur de la réforme des retraites et, par ailleurs, trésorier du parti présidentiel, l'UMP, et, à ce titre, récolteur et gestionnaire de dons financiers.

En assumant sa responsabilité de journal de journalistes, libre et indépendant, Mediapart a révélé ces enregistrements remis à la police judiciaire parce que les faits qu'ils dévoilent sont d'intérêt public et qu'à ce titre, leur dévoilement est légitime. Dès lors, la façon déloyale dont ils ont été recueillis, par le maître d'hôtel de Liliane Bettencourt, n'entre pas en jeu, comme le souligne la jurisprudence constante de la Cour de cassation : ce qui importe ce sont les faits rendus publics, leur valeur probante et leur discussion contradictoire.

De ce point de vue, l'annonce par le parquet de Nanterre d'une enquête préliminaire portant notamment sur l'atteinte à l'intimité de la vie privée relève plutôt d'une manœuvre politique que d'une bonne administration de la justice.

D'abord pour cette simple et évidente raison que, pour que la justice enquête sur une atteinte à l'intimité de la vie privée, il faut qu'il y ait au moins une personne privée qui, par sa plainte, atteste de cette violation. Ici, ce ne semble pas être le cas, le parquet ayant décidé d'agir sans qu'aucune victime ne se soit présentée à lui. Il est vrai que, pour ce faire, les éventuelles victimes devraient au préalable attester de la véracité des enregistrements et, donc, des propos qui y sont consignés.

On devine la contradiction abyssale dans laquelle sont plongés les conseils juridiques des protagonistes de ces conversations : pour se plaindre d'une violation de leur intimité, leurs clients devraient confirmer ce qu'attestent les enregistrements. Et, donc, valider d'éventuels délits, par exemple la fraude fiscale, qui pourraient leur être reprochés pénalement.

L'avocat de Liliane Bettencourt, Me Georges Kiejman, ayant finalement annoncé, vendredi 18 juin, qu'il déposait plainte avec constitution de partie civile pour atteinte à l'intimité de la vie privée, vol et faux témoignage, la justice ne pourra donc pas échapper à une confrontation avec le contenu des enregistrements. Mediapart avait évidemment pris soin de recueillir sa réaction avant la publication des extraits (à lire ici). Ce même vendredi, le photographe François-Marie Banier a également déposé plainte pour atteinte à l'intimité de la vie privée.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Profil

  • L'archipélien
  • Le monde est dangereux non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire” Einstein.
  • Le monde est dangereux non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire” Einstein.

Archives