Realdoll, poupée en silicone à taille humaine à 6500 dollars d'Abyss Creations, à San Marcos, en Californie
(R.HUBER/MAXPPP).
Cet homme vit une relation affective et amoureuse avec une poupée à forme humaine. Davecat n’a rien d’un Pygmalion puisqu’il n’y a rien à révéler de cette matière inerte. Il est plutôt un
Gepetto, qui donne vie à son Pinocchio, sauf que celui-ci est une femme… Il est dans l’énergie de la toute-puissance et se fait Dieu.
Lamartine se demandait : "Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?" La réponse est oui : les objets prennent la force et le pouvoir qui leur sont donnés. La poupée est ici
investie par son propriétaire (qui lui a même créé un compte Twitter et un Tumblr), elle est une part de lui qu’il a mise à l’extérieur.
C’est une sexualité enfantine, du touche-pipi pour adulte. Il joue toujours à la poupée ! Cela peut être aussi comparé à la phase du "doudou" qui sécurise l’enfant. Cette relation
délirante évite la rencontre avec la frustration, protège de la solitude, de l’inconnu : "je peux vivre tout seul, je peux me combler et je sais jouir tout seul" – le summum de
l’indépendance !
Orgasme de soulagement
Dans la relation amoureuse, on rencontre d’abord une personne. Et c’est la relation d’amour et de confiance qui permet de se donner comme un objet de désir. Au moment du rapport sexuel, on est
seul, l’autre devient une porte qui mène à soi.
Ici, la relation est inversée : cet homme achète un objet et le considère comme une personne en projetant une part de lui. Peu à peu, il lui donne vie et en oublie que c’est sa propre
projection. Il se fait l’amour en croyant être deux.
Car, avoir une relation avec une poupée, c’est être sûr de ne jamais entrer dans la transe d’un amour partagé, ne jamais ressentir l’émoi spirituel qui conduit à l’orgasme appelé la petite
mort. C’est juste un orgasme du soulagement et de réassurance à sa toute-puissance sur le monde.
Dans cette approche, le cerveau, qui est un organe important dans la sexualité, est le seul en action. Il crée ses sensations exclusivement à partir d’images, la dimension du corps est
inexistante. C’est une sexualité qui est en accord avec le monde virtuel dans lequel on vit.
Poupée-miroir
Cette situation répond à un monde où la peur de la frustration, du monde extérieur, de l’impuissance, de la mort, du rejet rend les rencontres de plus en plus difficiles. L’écran devient un
miroir dans lequel Narcisse se mire : cette poupée est son miroir ! Génération Narcisse, qui construit une image et s’en nourrit comme sur Facebook : le reflet des photos
émerveille et fait croire à une vie intense, qui n’existe que sur la toile. Mais n’oublions pas qu’à la fin Narcisse se noie…
Davecat dit être satisfait à 99% de sa relation avec un être de synthèse. Le 1% restant, c’est l’espoir qu’elle devienne un robot à forme humaine qui pourra lui rendre ses câlins. Gilbert
Bécaud chantait "la solitude, ça n’existe pas" en citant la radio ; Davecat a trouvé sa solution, le moyen de s’auto-suffire : il a sa femme de synthèse, sa prolongation de lui, sa
version féminine qui l’attend chez lui pour satisfaire à ses désirs. Il n’est dépendant de personne et arrive à en jouir. Je suis sûre qu’il n’a aucune envie de se faire soigner !
En effet, dans notre société, le stress permanent et le travail
engendrent des difficultés sexuelles : quand on rentre du bureau, c’est difficile de débrancher et on a peu de temps pour communiquer avec son conjoint (quand il y a conjoint, ce qui
devient difficile). La poupée n’est pas encore dans tous les foyers mais ceux qui trouvent leur plaisir par procuration en visionnant du porno, ou qui
entretiennent des relations virtuelles sur internet sont très nombreux. Ce sont des relations sans risque.
Monde virtuel jusque dans son lit
Le problème, c’est donc que Davecat et sa poupée risquent de faire beaucoup d’émules. Parce qu’il présente sa relation avec une femme poupée comme une réponse concrète à la peur de souffrir au
contact de l’autre. Il y a 30 ans, on n’aurait pas parlé de lui, ou alors en termes cliniques. Aujourd’hui, certains vont se dire : pourquoi pas ? Avec la poupée, on fuit la
souffrance et la mort. Tant que l’homme existe, sa poupée aussi. Il est son dieu créateur. La preuve, il a fait refaire son corps deux fois parce qu’elle était cassée.
Le plus dramatique, c’est qu’il n’entraîne aucune révolte. Que son fantasme de "relation avec un robot" n’effraie pas, mais, au contraire, intéresse. En cela, c’est terrible. Car, dans nos
sociétés où la machine a déjà pris la place de l’homme et les algorithmes gèrent la vie des États, c’est l’ultime rempart dans lequel l’humanité pouvait encore s’exprimer sans robot.
S’investir dans une poupée, c’est croire avoir trouvé sa moitié, qu’on aime et qui vous aime encore et encore. C’est embrasser une illusion et maintenir sa vie dans le monde virtuel jusque dans
son lit… C’est l’apothéose de l’inhumanité, la consécration de la solitude absolue.
Propos recueillis par Daphnée Leportois.
Commentaire personnel: Et que se diversifie le mariage pour tous.