Quand vous parlez de cinéma porno, la plupart du temps un sourire égrillard éclaire les chicots de votre interlocuteur. Parce que cela évoque, chez les vieux, ces films circulant naguère
sous le manteau et matés en cachette... Et aujourd’hui, cette pléiade d’"oeuvres" en libre service sur Internet, que plus personne ne nie regarder avec un certain intérêt.
Y compris nos compagnes...
Mais au delà des rouleaux de pellicule, des cassettes, des DVD et de la numérisation, gravite toute une économie avec ses financiers, ses managers, ses diffuseurs, ses créatifs et ses
artistes. Et, pour mieux atteindre sa cible, cette industrie a choisi d’être en phase avec des contre-valeurs habituellement occultées dans notre société.
Sinon elle ne serait jamais sortie des oubliettes où les convenances d’antan l’avaient reléguée. Et cela peut inquiéter.
Car ses critères de "créativité permissive absolue" recouvrent bien souvent des non-dits inavouables au niveau de l’humain. Etranges pudeurs des pornographes...
L’anthropologue et le pornographe
L’ethnosociologie est une discipline récente transposant à la sociologie expérimentale une méthode courante en ethnologie : l’étude directe, sur le vif, de la vie sociale.
Quafifiée d’interactionnisme symbolique par l’école de Chicago, cette technique d’observation participante, d’entretiens directs et d’utilisation de documents publics, emprunte leur mode
opératoire à la phénoménologie sociale et à l’ethnométhodologie.
Il s’agit donc d’observer ce reflet de notre société avec un regard scientifique. Et honni soit qui mal y pense !
Mais il ne suffit pas, pour analyser le phénomène, de regarder quelques uns des nombreux films porno tournés depuis plus d’un siècle.
Sinon tous les amateurs de films de cul seraient d’éminents anthropologues pérorant à l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Aussi faut-il passer ce cinéma au filtre des analyses
sociétales, c’est-à-dire s’intéresser aux anti-valeurs sousjacentes qu’il colporte, tantôt de façon insidieuse et suggestive, tantôt de manière ostensible et péremptoire.
Des contre-valeurs antinomiques au consensus apparent de notre société sur le respect légitime de l’être humain en général et de la femme en particulier.
Entre fortune et misérabilisme
D’abord, relativisons une idée reçue : non, la plupart des actrices porno ne sont pas des pauvres filles violées par leur père, ou vendues par quelque immonde trafiquant de chair humaine
prospérant en Europe de l’Est.
Beaucoup de ces filles sont issues de la petite bourgeoisie provinciale, voire de la bourgeoisie tout court, et leur niveau culturel est plus souvent proche de bac + 3 ou 4 que de bac - 10.
Si certaines peuvent avoir subi, comme dans toutes les couches sociales, des traumatismes graves durant leur jeunesse ou leur adolescence, ceux-ci ne sont pas déterminants dans le choix de
cette profession. A la différence de la prostitution.
Quant aux revenus... Bien sûr, les grands gagnants sont les producteurs. Mais la concurrence est rude. Et beaucoup de débutants s’y sont ruinés.
Pour les actrices, leur fréquence de tournage résulte de leur renommée. Laquelle dépend autant de leurs courbes que de celle des ventes. Et pour satisfaire un public de plus en plus
blasé et exigeant, de ce qu’elles acceptent de subir sans défaillir.
Cela peut aller de quelques centaines d’euros par mois pour une étudiante actrice occasionnelle... A plusieurs milliers (dizaines de milliers) d’euros pour une pro, très bien cotée, parfois
intéressée aux bénéfices, et qui accepte tout sans barguigner : du bondage sévère à la sodomie sauvage, du gang bang déchaîné au fist fucking sans limites, de l’humiliation
scatologique aux sévices corporels plus ou moins simulés.
Avec toujours en filigane le chantage : "Si tu n’acceptes pas, il y en a d’autres pour prendre ta place !"
Et il est vrai que, des amatrices qui veulent se faire un nom et sont prêtes à travailler gratis, aux débutantes qui hantent les innombrables castings X, il ne manque pas de postulantes au
miroir aux alouettes...
Je parle d’actrices plus que d’acteurs parce que ceux-ci ne sont que des faire-valoir interchangeables. Saillir sans faiblir est tout ce qu’on leur demande.
Le paradoxe d’un machisme qui escamote le mâle
Aussi contrariant que cela puisse paraître aux féministes, ces actrices sont volontaires.
Et les contraintes économiques ne sont pas leur seule motivation. Certaines avouent, lors d’interviews, réaliser ainsi leurs fantasmes et satisfaire leurs perversions.
D’autres, plus simplement, disent que c’est mieux que de bosser au SMIC en usine.
Les plus blasées parlent d’"un métier pas toujours facile au début, mais on s’habitue..."
Il est sûr qu’à 4 ou 500 € de l’heure, avec parfois de beaux voyages offerts, ces conditions peuvent susciter des vocations.
A défaut d’autres raccourcis vers la vie facile tels que le sport, la chansonnette ou la télé-réalité (qui emprunte de plus en plus l’humiliation au porno !)
Certes, alors que le film "coquin" de la première moitié du vingtième siècle s’enrobait, de façon hypocrite, d’un zeste de délicatesse, parce qu’on respectait encore certains codes de
séduction... Le cinéma X actuel le plus largement répandu ne s’embarrasse plus de ces fioritures.
Il colporte ouvertement une idéologie aux remugles fétides où la femme ne serait qu’une poupée de plaisir à la disposition permanente du mâle et de son inaltérable concupiscence.
Pire, dans les non-dits récurrents, il apparaît que la soumission et le viol seraient des aspirations communes à toutes les femmes (au delà du fantasme, mais ceci est un autre débat !) et
abuser d’elles serait donc satisfaire leurs désirs inavoués.
On imagine le stimulus que cela peut représenter, dans le processus du passage à l’acte criminel, chez des personnalités mal structurées, influençables, ou des minus habens.
Et quoi que l’homme fasse, sans efforts pour plaire ni ébauche de sentiments, sans égards ni préliminaires, elle est supposée être comblée. Dans tous les sens du terme.
Parce qu’elle ne demande que ça !
Pire encore, une certaine violence verbale voire physique (heureusement simulée la plupart du temps) et l’expression d’une misogynie touchant au mépris de la femmme, à la dégradation de son
corps et à la dépréciation de sa personne sont souvent la loi du genre.
Ce spectacle est devenu, au fil du temps, un de ces lieux politiquement incorrects tolérés.
Parce que étayé par des intérêts financiers. Mais aussi parce qu’il aurait pour rôle de canaliser, donc de pacifier, diverses tensions sociétales.
En particulier là où certains hommes du fait de leur (in)culture, leur religion, leurs préjugés ou tout simplement leur fragilité intrinsèque, ont vécu comme une "castration" la
libération des femmes et la perte de leur statut de dominant.
Trouvant dès lors dans l’image de la femme flétrie, humiliée et profanée une compensation virtuelle à leurs angoisses, leur mal être et leurs frustrations.
Dominant mais insignifiant
En toute cas, il est bon de souligner qu’acteur hard est un des rares métiers où, à compétences égales et horaires identiques, les femmes sont beaucoup mieux payées que les hommes !
Ceux-ci sont aussi insignifiants qu’interchangeables. Bandaison n’égale même pas figuration intelligente. Normal. Le mâle, dans cette configuration n’est qu’un vecteur symbolique dans lequel
tous les autres hommes doivent pouvoir se projeter.
Baiser des filles canon par procuration.
Pour ce faire, leur "représentant" doit être le plus neutre possible. Difficile de faire carrière quand on n’est qu’une ombre portée !
D’ailleurs à l’exception de Rocco Siffredi très médiatisé ou de Sylvestre l’étalon italien qui a vite changé de plateaux, combien ont accédé au pinacle ?
Quand de nombreuses filles, avant d’atteindre la limite d’âge (la retraite à 35 ans, qu’en pense Eric Woerth ?) ont su passer derrière la caméra, se reconvertir à la radio ou à la télé,
ouvrir des cabinets de conseils en sexothérapie, voire mettre le grappin sur un adipeux prince du pétrole ou un cacochyme banquier de Wall Street.
Risques du métier
Dans les années 80/90, le métier fut décimé par le sida. Une véritable hécatombe aggravée par la loi du silence, l’important étant de continuer à tourner quoi qu’il advienne, et un refus
pathétique d’affronter la réalité. Par crainte de nouvelles lois imposant un retour à l’ordre moral d’antan ?
Des appréhensions pas toujours injustifiées en Amérique face aux prédicateurs surfant sur la vague d’un virus qui fut pour eux une divine surprise.
Depuis, les tournages se font avec capote, ou après analyse de labo certifiant l’absence de VIH. Néanmoins, les scènes "naturelles" étant plus prisées, donc plus rémunératrices,
quelques producteurs-metteurs en scène s’affranchissent assez gaillardement de ce garde-fou.
Des acteurs, pour gagner plus, sont même allés jusqu’à maquiller leurs tests médicaux.
Tout, tout de suite et no future !
Aujourd’hui, en Amérique et en Europe, les condamnations au pénal pour ce genre de pratiques semblent avoir réduit de tels comportements. Sans y mettre un terme absolu.
Mais il y a des pays émergents moins regardants. Avec des starlettes beaucoup plus dociles et nettement moins payées.
La délocalisation mondialiste touche aussi l’industrie du X !
Aux USA, l’Adult Industry Medical Health Care Foundation après une enquête effectuée entre octobre 2001 et mars 2003 auprès de 483 volontaires non sidéens régulièrement suivis, a révélé que 40%
des testés avaient au moins une MST classique : 17% la chlamydiose, 13% la gonorrhée et 10% l’hépatite B ou C.
On imagine les résultats avec des non-volontaires ou des non-médicalement suivis !
La transparence du web a quand même permis l’éclosion de sites affichant, pour les gens du métier et ceux qui les fréquentent, des listes de personnes exposées au VIH, qui a tourné avec qui,
qui est suspect ou placé en quarantaine... Des infos mises à jour régulièrement et qui compensent un peu l’irresponsabilité liée à la dictature du fric.
Restent d’autres pratiques à risques : comme ces hypertrophies chirurgicales "esthétiques" de la vulve ou du clitoris pouvant entraîner des troubles fonctionnels à vie.
Ou comme ces gang bangs particulièrement violents à l’issue desquels certaines actrices se sont retrouvées à l’hopital. Avec, dans quelques cas, des lésions irréversibles.
Mais ne doit-on pas classer ces dommages corporels comme des accidents du travail ?
Après tout, les ouvriers victimes de l’amiante ne sont-ils pas plus à plaindre ? Eux qui n’avaient pas été informés des risques professionnels encourus et ne s’y étaient pas volontairement
exposés ?
Dommages collatéraux
Plus préoccupants pourraient être les dommages collatéraux. Sur les naïfs et les imbéciles.
Ces hommes qui oublient que la plupart des plans hyper hard sont tournés en plusieurs fois, assez souvent avec des doublures, tandis que le film final s’articule sur des montages plus ou moins
habiles.
Croyant à des gymnastiques en temps réel, et à des éjaculations à la mitraillette, combien d’ados boutonneux ont été submergés par un terrible complexe d’infériorité ?
Combien d’adultes un peu niais ont reproché à leur douce et tendre son manque de réactivité ?
Et se sont retrouvés largués parce qu’ils attendaient de Ginette les exploits de Clara Morgane et de Tabatha Cash réunies ?
Et combien de pervers pépères se sont-ils retrouvés avec les vertèbres coincées parce qu’ils avaient surestimé leur souplesse aux galipettes ?
Alors, comme on dit aux enfants à propos de certains dessins animés particulièrement violents : "Attention, ceci est de la fiction, dans votre intérêt n’essayez pas d’imiter les
personnages !"
Une conclusion qui en vaut une autre...