En toute modestie, j'aimerais proposer ici un article de réflexion qui ose soulever plus de questions qu'il ne s'essaye à donner de réponses. Autrement dit, les points d'interrogation
l'emporteront sur les points d'exclamation avec autant de triomphe que les politiques d'austérité sur les politiques sociales. J'espère néanmoins que cette ponctuation ne vous condamnera pas à
la misère et l'esclavage, tout comme j'imagine, en revanche, que c'est ce qui nous attend avec les décisions prises par nos chères élites politiques. En guise de friandise, introductive, je
pose donc la question, productive ; avoir ou ne pas avoir, telle est l’obsession ?
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Avant-propos sémantique
Comme j'ai été bien dressé, il m'est indispensable de définir ce que j'entends pas « être », ou l'être pour des raisons littéraires, et « avoir », ou l'avoir pour les mêmes
raisons. Par contre, comme je fais ce que je veux pour une fois, petite grimace subtile en direction de la norme scientifique, je ne m'appuierai pas sur des auteurs mais sur ce que je pense.
Ainsi, grossièrement, « être » est ce qui définit un individu par ses comportements, sa situation, sa manière de penser et ses pensées et, « avoir » est ce qui définit un
individu simplement par ses possessions. Ceux qui aiment remuer les excréments me diront que les deux peuvent être étroitement liés et ils auront bien raison, en dépit de la saleté de leurs
mains. Comme je suis fort aisé dans le domaine pécuniaire je suis distingué car j'ai une bonne éducation car je suis né riche et caetera... Laissons, s'il vous plaît, les étirements neuronales
superflus pour se concentrer sur l'essentiel. J'aimerais dans cet article, toute ambition démesurée comprise, provoquer une réflexion sur un nouveau mode de définition de l'être à travers
l'avoir. Est-ce qu'aujourd'hui nous nous définissons à l'aide de ce que nous possédons ?
Quelle date pour l'avancée de l'avoir sur l'être dans la société française ?
Est-ce que je commets une erreur en imaginant une société passée moins tournée vers la possession des individus pour qualifier ceux-ci ? En y réfléchissant, dans l'après-révolution, les
électeurs étaient les possédants, ceux qui payaient le cens. Il s'agissait alors bien des ayants-argents qui étaient des citoyens-électeurs. L'être s'effaçait alors derrière l'avoir puisque le
fait de posséder donne, de droit, un qualificatif sur l'individu. Monsieur François-Marie Bourgeois (nom stéréotypé de bourgeois n'est-ce pas ?) s'est fabuleusement enrichi dans le commerce
de personnes considérées sans-âmes et il est un électeur, comme le confirme les rondeurs de sa bourse.
Pourtant, à la même époque s'est livrée le combat de deux être ; le progressisme des Lumières contre le conservatisme des Capétiens, le tiers état contre la noblesse, les laboratores qui
sont logiquement fatigués de transpirer pour leurs maîtres contre les bellatores qui n'ont plus envie de faire eux-mêmes des moulinets avec leurs épées. Il ne faudrait pas non plus oublier la
bourgeoisie, dont le rôle dans la révolution se ramasse souvent des coups enragés de rabots, qui prend conscience de sa situation. Ni vraiment laboratores, ni vraiment bellatores mais plus
mercantes, les bourgeois sentent qu'ils méritent une autre place de par leur être, effectivement liés de manière intime avec leurs possessions. Est-ce là l'introduction d'un nouveau mode de
définition de l'être ? Mon inculture sur le sujet historique ne me permet pas de me prononcer. Je laisse donc ce point d'interrogation exactement là où il se trouve dans mon cerveau étouffé,
c'est à dire perdu entre des milliers de pensées, en guise d'appel désespéré pour des explications.
Être s'est effacé derrière avoir ?
Effectuons un bond dans le temps, avec le mépris le plus affirmé de tous les codes d'articles construits chronologiquement.
De nos jours, ce qui semble compter sont les marques, objets graphiques à forte teneur symbolique qui irradient notre quotidien. Quand les entreprises se sont aperçues qu'elles ne pouvaient plus
se battre sur l'aspect technique de leurs produits, et afin d'éviter la diabolique compétition par les prix, elles se sont dirigées, avec la hargne d'un affamé, vers un marketing de l'esprit
(source 1). Une paire de chaussure n'est pas qu'un tas de tissu, de plastiques et de cuirs artificiels, elle est aussi une réalité dans le monde des idées normées du marketing, autrement dit elle
représente effectivement un symbole fort et explicite. Avec Nike, je vais me surpasser et me muscler l'auriculaire si bien que je pourrai retirer, seul, mes bouchons de cire.
Outre l'avancée dans l'auriculo-hygiène, le marketing a fait une entrée fracassante dans la définition de l'être par l'avoir. L'être n'est dès lors plus une construction sur le temps long, il est
état d'esprit, car réduit à l'état de produit. D'un instant à l'autre je peux être un révolutionnaire aussi plat et inexpressif que mon tee-shirt du Che ou un footeux faussement invétéré aussi
inflammable que mon maillot en nylon.
De ce fait, je me dois de lever la main pour demander à mes innombrables professeurs qui se présenteront face à cet article de misère intellectuelle. L'achat de l'être entraîne t-il véritablement
un effacement de celui-ci derrière l'avoir ? Je suis ce que j'achète ou s'agit-il seulement d'une illusion entretenue par un marketing, cuisinée aux petits oignons avec plein de crème
fraîche, qui me pousse à croire cela pour sa survie ?
Telle est l'obsession ?
Outre la question de l'effacement de l'être derrière l'avoir, je me dois de dessiner des interrogations vers ce qui n'est pas qu'un jeu de mot en l'honneur de Shakespeare. Le titre de cette
partie touche de l'index le caractère pragmatique de ce constat, encore une fois, tout en courbe à la racine en forme de point. Est-ce que les individus tremblent d'impatience, ont des suées
grippales, des emportements infantiles, des comportements débiles par rapport à leurs possessions ?
Entre en jeu l'image de cet article, ce ramassis d'idées brossées à la va-vite pour paraître présentable à la manière de ce mioche toujours fourré dehors que l'on coiffe dans la précipitation
parce que les grands-parents font une visite improvisée, et entre en jeu Apple ; alors croquez et vous saurez...
La marque américaine est un exemple en l’occurrence juteux. Il exprime les deux éléments que je cherche à passer à la forme interrogative, à savoir l'effacement de l'être derrière l'avoir et
l'obsession de l'avoir. Premièrement, Apple au travers de son marketing de l'esthétique de la simplicité, du « Think different » (« Penser différent »), a
appliqué plusieurs symboles à son image de marque, entre autres ceux de la singularité, de l'originalité et du charisme des individus. Renforcée par le nouveau slogan « Designed by
Apple in California » (« Conçu par Apple en Californie »), qui laisse croire qu'Apple possède en exclusivité les clés de ces symboles, ce marketing promeut-il un
avoir qui donnerait des vertus à l'être ?
Secondement, combien parmi vous sont parvenus, peut être grâce à un thérapeute, à oublier ces files d'attente (source 2) de sous-neuronés, dont le voyant système nerveux clignote, entassés devant
un magasin frappé du logo de la pomme ? Je suppose que plusieurs d'entre vous se réveillent encore la nuit, le dos trempé et le rythme cardiaque affolé. Qu'est-ce qui pousse ces tas de
cellules à jouer avec leur survie devant un Apple Store, avant l'aube, pendant des heures, alors qu'il fait froid et qu'ils vont perdre plusieurs centaines d'euros ? Je doute, avec une
conviction qui rendrait jalouse Arlette Laguillier, que 135 grammes de moins, entre l'Ipad Air et l'Ipad 2, soit une révolution technique qui justifie un tel comportement. Si Lidl faisait une
tablette de 477 grammes, soit un de moins que l'Ipad Air, ses supermarchés seraient-ils pris d'assaut ?
C'est une obsession de posséder un produit de marque Apple ? De sabrer plus de la moitié d'un Smic pour faire mumuse avec ses petits doigts sur un écran (« rétina » s'il vous
plaît) ? Heureusement qu'Apple n'accepte pas les organes comme moyen de paiement sinon il serait le plus grand fournisseur de greffon de la planète. Ca ne serait pas facile pour les
patients, surtout ceux qui recevraient une greffe de la cornée « pourquoi y a des pommes de partout ?! ».
Ces questions me paraissent tout à fait d'actualité et dignes de tracasser vos neurones. Avoir ou ne pas avoir, telle est l'obsession ? ou, autrement dit, est-ce qu'aujourd'hui l'avoir sert
à définir l'être et, si oui, est-il une priorité dans la définition de l'être ? En effet, cela sonne comme une problématique. Je ramasse demain à 10h00. Bonne chance...
Nota bene 1 : Vous noterez bien la traduction de l'image pour les non-anglophones : « Le pouvoir de la ressemblance qui vous coûtera un bras... peut être
deux ».© tous droits réservés au primate
Nota bene 2 : Vous noterez bien que malgré les apparences, je ne parle pas le latin. Non, je suis juste allé chercher l’étymologie de marchand le net. Oui, je mérite vos
crachats, ne salissez pas trop vos écrans quand même.
Source 1 : Sur le marketing de l'esprit et l'impératif pour l'entreprise d'y investir pour ne pas se ruiner = No logo de Naomi Klein
Source 2 : Les néo-zombies dont Romero n'est parvenu à anticiper la forme :
http://www.bfmtv.com/high-tech/file...
auteur: singe conscient