Tribunaux correctionnels pour mineurs ? La tarte à la crème des politiciens ignorants et aux abois devant leur propres échecs des 40 dernières années
Il fut un temps où la justice des hommes ne faisait aucune différence entre les mineurs et les majeurs. En ce temps-là les enfants travaillaient comme des adultes, étaient enrôlés dans les
guerres, leur vie sexuelle commençait autour de 6 ans pour les filles comme pour les garçons, les pères défloraient les filles, les curés sodomisaient les enfants de chœur, bref tout allait bien
dans le meilleur des mondes, celui de l’impunité.
Puis est arrivé Vincent de Paul, qui a cherché à mettre un peu d’humanité dans ce « monde de brutes ». Des structures comme les Bons Pasteurs ont été créées, premier pas vers une prise
en charge où l’enfant et notamment les jeunes filles étaient assistés.
Quelques siècles et révolutions plus tard, et après que Gavroche nous ait apporté l’image d’un enfant révolté et sympathique, le débat sur la bosse du criminel fait rage en cette fin de XIXème
siècle. Nait-on criminel ? Des scientifiques de seconde zone occupent le haut du pavé, où un Cesare Lombroso assure que tout criminel est né criminel. L’éducation n’y fait rien, la
rééducation encore moins. Le déterminisme socio-biologique à l’état pur, une base fondamentale du racisme. Nous pourrions croire que de telles élucubrations sont désuètes, mais récemment un
président aux abonnés absents de l’intelligence a osé parler du gêne du pédophile. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, même la connerie !
Mais revenons à notre époque de la bosse du criminel. Face à ces théoriciens de l’épuration de la race se lèvent des hommes, bien seuls, qui demandent que l’on accorde un statut judiciaire
spécifique aux enfants. Parmi eux, Henri Rollet, un avocat qui avait été à l’origine de la Loi du 29 juillet 1889 permettant d’enlever les enfants de leur famille si leurs parents étaient
reconnus indignes, puis celle du 22 juillet 1912 fixant la responsabilité pénale à 13 ans et créant les tribunaux pour enfants. Henri Rollet bénéficiera de cette Loi, il sera le 1er
juge pour enfants nommé en France, à Paris. Entre temps il avait étudié le système américain de Liberté surveillée, qu’il va expérimenter dans sa juridiction.
Passée la 1ère guerre mondiale, c’est la grande époque de la lutte contre les colonies pénitentiaires, une création du milieu du XIXème siècle, dont certains noms sont de
sinistre mémoire tel Mettray, des lieux où les enfants sont placés avec comme devise « éduquer l’enfant par la terre et la terre par l’enfant », un motto permettant tous les abus. Des
lieux aussi où l’administration pénitentiaire laisse le pouvoir aux organismes caritatifs (id. religieux), où aucun contrôle n’existe de la part de l’Etat. Ce lien pour donner une image de cette
évolution : http://rhei.revues.org/891?&id=891 . Voir aussi les écrits de Henri Gaillac (« Les maisons de correction
1830-1945 ») et le livre de Alexis Danan ( l’épée du scandale, ed. Robert Laffont).
Cet autre lien http://jacbayle.perso.neuf.fr/livres/ile_prison/Danan.html nous amène à Jacques Prévert et son poème
« bandit, voyou, voleur, chenapan », une lamentable histoire vraie ou un enfant a été massacré par des gardiens dans la colonie pénitentiaire de Belle Ile en Mer, en 1934, entraînant
une révolte des colons puis une chasse à l’enfant à laquelle ont participe les iliens et les touristes, appâtés par une récompense misérable. Ce poème a été chanté par Marianne Oswald sur
une musique de Kosma (le premier lien est le texte, le second la chanson) http://jacbayle.perso.neuf.fr/livres/ile_prison/Prevert.html et http://www.wat.tv/video/prevert-marianne-oswald-chasse-146a3_2fgqp_.html
Quand je suis entré à l’Education Surveillée, en 1973, existaient encore Aniane, Saint Maurice, Saint Jodard, La Chapelle St Mesmin, Bar le Duc, nombre de ces institutions créées à la fin du
XIXème siècle et reprises par cette nouvelle direction du Ministère de la Justice, créée en 1945, la direction de l’éducation surveillée. Sa base est l’Ordonnance de 1945,
concoctée avant la seconde guerre mondiale, améliorée par l’administration de Vichy (eh oui, la continuité du service public est une notion qui a fonctionné même sous l’occupation), et sortie du
chapeau dès la fin de la guerre.
Les fondamentaux de cette Ordonnance du 2 février 1945 dont le lien ci-après en donne l’intégralité, soit 11 pages faciles à lire (http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/ordonnance.pdf), ces fondamentaux, donc, sont simples :
-elle confirme l’existence d’une justice des mineurs (à l’époque la majorité était fixée à 21 ans, l’ordonnance va statuer pour les mineurs de 18 ans), qu’elle codifie avec des lois particulières
et des juridictions spécialisées (les tribunaux pour enfants et les cours d’assises des mineurs). Pour les lois le système est relativement simple, jusqu’à 13 ans un mineur est considéré comme
n’ayant pas de capacité de discernement, dont il ne peut être l’objet d’une sanction pénale. (Pour mémoire, en 1880, les moins de douze ans représentaient 36 % des jeunes en maison
de correction (Henri Gaillac)) ; de 13 à 18 ans un mineur peut être condamné aux mêmes peines qu’un adulte, l’échelle de condamnation étant divisée par deux. Donc pour un crime
susceptible de coûter pour un adulte de 10 à 20 ans de prison, cette peine est ramenée pour un mineur à 5 respectivement 10 ans.
-elle transfère à l’Education Surveillée l’ensemble des établissements jusqu’alors à la charge de l’Administration Pénitentiaire (autre direction du ministère de la justice) et va engendrer
un dispositif spécifique de formation pour ces nouveaux personnels de l’Education Surveillée ;
-elle pose le principe intangible de la primauté de la rééducation sur la punition. Ce qui signifie qu’il ne peut y avoir sanction sans dispositif parallèle de rééducation.
-elle se base sur deux mesures phare, la Liberté Surveillée et le placement en établissement spécialisé.
Le démantèlement de l’essence de l’Ordonnance de 1945 :
Dans les années 80 la liberté surveillée a été démantelée, le placement en institution est devenu l’exception, on a commencé à ne plus parler que de soutien éducatif. Les psychologues sont venus
en masse intervenir pour profiter de ce nouveau fromage, et nous avons assisté à une perte totale de repères pour les jeunes, et aussi pour les travailleurs du domaine. Les jeunes, quasi
systématiquement protégés de toute sanction n’ont plus su à qui ils avaient à faire. Le juge devenait aussi éducateur, le psychologue devenait juge, l’éducateur naviguait entre ces deux barons de
la prise en charge. La résultante en a été que le jeune délinquant, soumis à aucune sanction face à ses propres dérapages plus ou moins graves, a été psychiatrisé. Sanctionner est devenu une
honte, et non pas une exception, alors que l’ordonnance de 45 ne mettait la sanction que dans le cadre d’une assistance éducative. En bref l’action éducative a été castrée au profit de l’action
psychologique, de l’analyse individuelle, du diagnostic, du divan .. mais ceci est une autre histoire ….
En parallèle l’échec retentissant de la politique des banlieues a transformé certains quartiers en zones de non droit. En 1981 j’étais délégué à la liberté surveillée au tribunal de Versailles,
ayant comme secteur Sartrouville et Houilles, donc la cité des Indes et la cité Chanzy. Quand je me rendais sur le terrain j’avais toujours un volontaire pour surveiller ma voiture, envoyé
par un grand-frère ou le père d’un des jeunes que je venais rencontrer. Déjà les véhicules de police, de pompiers, même ceux des médecins étaient l’objet de « caillassage ». 30 ans plus
tard nous en sommes toujours au même niveau, voire pire, puisque par endroits plus personne ne rendre depuis deux décennies. En supprimant les repères, en désertant le terrain, et aussi et
surtout en privatisant l’action éducative on a ouvert la voie aux chefs locaux, aux dealers, à ceux qui, vivant dans l’impunité, montrent leur réussite sociale en se pavanant dans des limousines
à 60.000 euros. On a envoyé, sous le fallacieux prétexte que pour comprendre la problématique des enfants d’immigrés il fallait être soi-même enfant d’immigré, des jeunes gens sans diplôme ni
formation prendre la place laissée par l’Etat, puis on a supprimé ces postes faute de résultat, et faute d’argent ! Le démantèlement de la protection judiciaire de la jeunesse, un service
public, au profit d’organisations de type associations dépendant des maires et des communes, a rendu toute action de long terme impossible, inopérante. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle
avec la Poste. On supprime des postes de travail, puis des agences postales, puis la clientèle se plaint, et donc on privatise le service. La privatisation de la prise en charge des mineurs
difficiles n’est que la suite du conflit « ancestral » entre le pouvoir judiciaire, le pouvoir administratif et le pouvoir politique.
Dans cet ensemble on peut quand même remarquer que c’est entre 2005 et 2012 que la situation a échappé à tout contrôle, et qu’il sera difficile de faire repartir une action de rééducation dans le
bon sens. Alors que les dirigeants précédents, tous partis confondus, avaient bien pris soin de ne pas mettre le feu aux poudres, le ministre de l’intérieur sarkozy, puis le président
du même nom, en mélangeant les genres et les fonctions, ont ajouté du désordre au marasme. Quel intérêt de tancer les juges ? Quel intérêt de parler de nettoyage au karcher ? Quel
intérêt à montrer du doigt certaines communautés ou ethnies ? Quel intérêt, surtout, à s’amuser à insulter et fustiger ceux là même qu’on a aidé à devenir ce qu’ils sont : des laissés
pour compte, des parias, des gens qui se réfugient dans le communautarisme faute d’avoir droit à un projet de vie cohérent, des gens qu’on n’ose plus approcher sauf entouré d’une cohorte de
gardes du corps et de CRS. Et comme aucune action de rééducation n’était envisageable pour ce président et sa ministre fétiche, dame Dati, on a essayé de remettre en service des internats
« fermés », ceux-là même qu’on a supprimés dans les années 80, mais cette fois à toute petite dose, et toujours en se basant le plus possible sur les structures privées associatives. On
a supprimé la rééducation, vive le redressement ! Il reste à rouvrir Mettray, Cadillac, et pourquoi pas Belle-Ile.
De mon expérience professionnelle j’ai retiré une chose simple, il n’y a pas de jeune irrécupérable, il suffit pour chacun de trouver « la clef », donc il faut du temps et du tact, deux
choses qu’un politicien, qui par nature veut des résultats dans l’instant et à tout prix, a du mal à comprendre.
La question qui reste en suspens pour moi est : à quoi servent ces nouveaux tribunaux correctionnels pour mineurs dès lors qu’existent des tribunaux pour mineurs structurés en cour d’assise
pour les affaires criminelles ? C’est inutile, coûteux, et cela complique le dispositif !
Je sais que nos politiques, toutes catégories confondues, ne veulent pas assumer leurs échecs successifs depuis les années 70. mais peut-être que remettre au premier plan, tout simplement, cette
Ordonnance de1945 telle qu’elle a été conçue pourrait déjà permettre de relancer une vraie politique de prise en charge des jeunes délinquants et/ou en situation difficile. Et peut-être que
recréer un vrai service de protection judiciaire de la jeunesse, en lui donnant les moyens d’agir, pourrait en être le « bras armé »
source:agoravox