Le rire reste un mode de résistance d’une efficacité redoutable contre notre impuissance face à la tyrannie du réel. Avec l’humour, et le rire qui l’accompagne, on reprend la main et le pouvoir.
Inhibitions, angoisses, oppressions… le rire transcende tout ce à quoi il se rapporte.
L’humour est la seule vraie résolution de la névrose disait Freud ; et on ajoutera : la seule vraie protection contre la névrose des autres, celle de Freud pour commencer et celle de l’organisation de la société.
Funambule de la raison, vertigineux, l’humour tout comme le rire, fraie avec la folie ; celle qui nous guette tous.
Rire collabo ou tiroir-caisse, rire résistant, rire pour rien sur rien ou pour si peu, rire gras... grassement payé salle comble, rire attentiste (Pourquoi se prononcer, prendre parti alors qu'on ne sait jamais de quel côté le vent va tourner !), rire dieudonysiaque transgressif qui fait éclater au grand jour une domination sans précédent du mensonge - ivresse et jouissance face à l'énonciation de vérités interdites -, rire iconoclaste mais mondain, tempête dans un dé à coudre (Bedos père et fils, et tant d’autres), si le rire n’a ni raison ni tort, et s'il s’accommode mal du mensonge, tout comme l'Art, le rire est proche de la vérité.
Rire pointu, rire de spécialistes, rire qui ne perd rien pour attendre, et pour avoir trop attendu aussi, rira bien qui rira le dernier, le rire est communion et partage ; grégaire, il rassemble : chacun pour soi dans le rire mais avec le rire de l’autre en écho d’une destinée commune.
Le rire est germination quand il révèle des savoirs enfouis et volontairement cachés, et si le rire n’est jamais loin du sanglot, c’est qu’il en est la larme sèche ; aussi, en s’attaquant au réel jusqu’à la caricature, il le démasque (Coluche, Desproges) ; il force le trait jusqu’à l’absurde (Devos) ; il met à nu les vanités et la bêtise. Rire inespéré qu'on n'attendait plus, avec Zouc, il apprivoise l’horreur d’une condition ; rire boomerang et miroir, à l'image de la perfidie qu'il faut bien se résoudre à dénoncer, avec Dieudonné en Molière des temps modernes, le rire expose les escrocs de la vertu et de la morale sans oublier les chantres d’une pseudo fraternité - fraternité à géométrie variable, d'un poids d'une mesure jamais égale ; fraternité sournoise qui cache mal un désir violent de domination.
Avec l'humour, toute solennité est exclue ; mais le rire n’est pas pour autant le laisser-aller quand il a pour alliés l'intelligence, la liberté et l'Art ; bien au contraire, celui qui rit, même confortablement assis, se tient intellectuellement et moralement debout, digne et fier. Toujours !
Avec le rire, tous les traumas deviennent gérables car avec le rire et le corps fait esprit, un corps qui se saisit de la réalité (Zouc, Elie Kakou, Fellag), on peut les revisiter à satiété, en toute sécurité.
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Sortie par effraction de toutes les impasses, hors de l’espace et hors du temps, dans une autre dimension, les mécanismes du rire sont complexes ; ils se dérobent à l’analyse exhaustive car avec le rire, son talent, son génie, il reste toujours une part d’inconnu.
Le rire est magique d’une magie blanche et noire ; quand il est gris, le rire est retournement de l’insupportable même s’il en garde la trace et la marque ; il n’oblitère rien, ne répare rien mais il permet la consolation et de souffler un peu avant de côtoyer à nouveau des démons têtus et insatiables.
Le rire est libération quand il met en scène un dépeçage des conventions, des hypocrisies et des machinations ; il libère l'esclave et nous permet de sortir de l’enfermement dans lequel nous nous complaisons.
Bergson disait : « Le rire n’a pas plus grand ennemi que l’émotion. Le comique s’adresse à l’intelligence pure ».
Coeur de pierre donc, mais source d’énergie radicale, il est une ouverture sans précédent vers l’inouï, l’inédit et la liberté.
Rire, humour… humour et rire, il arrive aussi que le rire rende justice à ceux qui en sont privés.
Belle revanche des déshérités alors !
Auteur : serge ULESKI