Nicolas Sarkozy et l'Hydre de la magouille
Emplois fictifs à la mairie de Paris, affaire Clearstream, affaire Woerth-Bettencourt... Rien ne semble pouvoir arrêter la machine infernale. Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung se demande qui est en mesure d'en venir à bout.
20.09.2010 | Stefan Ulrich | Süddeutsche Zeitung
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Dans les marais de la Grèce antique vivait autrefois un monstre appelé Hydre. Si on lui coupait la tête, il lui en repoussait deux. Aujourd'hui, une créature semblable vit dans le marais
parisien de la corruption. Elle s'appelle l'affaire Bettencourt et se nourrit de pouvoir, d'argent et de conflits d'intérêts. Ce monstre se multiplie encore plus vite que l'Hydre. Pas besoin
qu'on lui coupe une tête pour qu'il lui en pousse de nouvelles. Il s'est d'abord agi des faiblesses d'une milliardaire [Liliane Bettencourt] pour un dandy [le photographe François-Marie
Banier]. Ensuite s'est ajoutée une affaire de corruption impliquant l'UMP et le ministre du Travail, Eric Woerth. L'affaire pourrait désormais se transformer en "Sarkogate", selon le constat
souriant de l'opposition. Ce qui est indiscutable, c'est que les services secrets ont été mis en chasse pour trouver qui avait transmis au quotidien Le Monde le procès-verbal de
certaines auditions effectuées dans le cadre de l'affaire Bettencourt. Le Monde affirme que les espions ont reçu leurs ordres de l'Elysée, que le président a utilisé les services
secrets pour protéger ses intérêts politiques et violé la loi sur la protection du secret des sources des journalistes. Le président dément être intervenu. Le Monde a porté plainte.
L'affaire Bettencourt a une nouvelle tête, l'hydre continue de croître.
A côté de cela, la justice a d'autres affaires pénales sur le feu. L'une d'entre elles met en cause un ancien président, Jacques Chirac, qui pour la première fois de l'histoire récente, devra
répondre de détournement de fonds publics et d'abus de confiance [son procès, qui devait se tenir entre le 8 octobre et le 8 novembre, pourrait être reporté en 2011]. L'autre, l'affaire
Clearstream, est une sombre cabale entre Sarkozy et l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin sur fond de vente de frégates douteuse [à Taïwan. Villepin a été relaxé en janvier, mais le
Parquet a fait appel]. On pourrait poursuivre la série à volonté en remontant dans le passé récent : scandale Elf, Angolate, diamants de Giscard d'Estaing.
Le népotisme aurait-il remplacé la fraternité comme fondement de la République ? La France semble littéralement rongée par la magouille. Ce pays dans lequel Montesquieu prêchait pour la
séparation des pouvoirs donne l'impression d'être dominé par une seule caste. Les membres de celle-ci se connaissent depuis les grandes écoles et ont souvent grandi ensemble dans les beaux
quartiers - Neuilly par exemple, d'où vient Sarkozy. Plus tard, ces amis de jeunesse se retrouvent au Parlement, au gouvernement, dans la haute administration et dans les conseils
d'administration des grandes entreprises. Ils entretiennent leurs vieux contacts pour leur bénéfice mutuel. Le centralisme, qui réunit tous les pouvoirs à Paris, facilite les échanges - et la
corruption. Il y a toutefois des contrepouvoirs : les citoyens, qui tolèrent bien moins ces petits arrangements qu'auparavant ; les médias, par exemple Le Monde, qui font des
enquêtes minutieuses et démontrent que la liberté de la presse fonctionne ; et les juges d'instruction, qui contrairement aux procureurs, sont indépendants du gouvernement et s'attaquent aux
affaires les unes après les autres. Dans l'Antiquité, c'est Hercule qui abattait des monstres comme l'Hydre. Aujourd'hui, ce rôle incombe aux juges d'instruction. Sarkozy souhaite les
supprimer.